Des marsouins, des harengs et des humains

L’archipel de Grand Manan est le centre d’une industrie fructueuse de pêche au hareng depuis plus d’un siècle. Le hareng de l'Atlantique (Clupea harengus) se tient en de grands bancs. On le prend la nuit en haute mer au moyen de grands filets de conception spéciale appelés seines coulissantes, ou encore près du rivage dans des trappes appelées bourdigues ou fascines.

Ces trappes sont une sorte d’enclos en forme de cœur, relié à côte par un filet ou une clôture. Les bancs de harengs qui évoluent près du bord rencontrent cet obstacle et le suivent d’instinct pour finir à l’intérieur de l’enclos où ils restent pris. Les pêcheurs les récoltent périodiquement au moyen d’une seine.

Il arrive qu’à Grand Manan d’autres animaux que les harengs visés se prennent dans les bourdigues. On sait que des phoques communs, des requins pèlerins, des petits rorquals, des rorquals à bosse, des baleines franches, des dauphin à flancs blancs et des marsouins communs s’y aventurent. Ces derniers sont parmi les plus réguliers à visiter les trappes : jusqu’à 300 individus y sont vus chaque été.

porpoiseLe marsouin commun (Phocoena phocoena), un des plus petits cétacés au monde, est une sorte de baleine de petite taille, que l’on rencontre dans les eaux tempérées de l’hémisphère nord, y compris la baie de Fundy. Comme il s’agit d’un mammifère, il a le sang chaud et allaite ses petits. Il doit aussi faire surface à des intervalles de quelques minutes pour respirer. Il se nourrit surtout de poissons et de petits calmars qu’il attire par succion puis qu’il saisit avec ses toutes petites dents plates.

Pour des raisons qui ne sont pas très bien connues, les marsouins communs se retrouvent parfois à l’intérieur des trappes, comme cela est dit ci-dessus. Au moment de la récolte des harengs, ils peuvent donc rester pris dans les filets utilisés. Ils peuvent suffoquer en peu de temps s’ils sont empêchés de faire surface pour respirer.

En 1991, le Centre de recherche sur la vie marine de Grand Manan et des pêcheurs de l’archipel amorcèrent une coopération appelée Programme de remise en liberté du marsouin commun. Les buts en étaient – et demeurent : la remise en liberté, sans les blesser, des marsouins pris dans les bourdigues ; la cueillette de données scientifiques sur l’espèce ; et une aide aux pêcheurs pour qu’ils puissent protéger leurs prises de harengs. En date de 2002, plus de 600 marsouins avaient ainsi été dégagés sains et saufs des bourdigues de l’archipel.

Les tentatives de remise en liberté de marsouins ont connu le succès à un taux moyen de 94 %. En 2001, 244 marsouins ont été dégagés, un nombre record. Les chercheurs ont ainsi pu cueillir des données quant au sexe et à la taille des animaux et fixer de petites étiquettes d’identification à la nageoire dorsale de plusieurs d’entre eux.

Ce partenariat exceptionnel entre les chercheurs du centre et les pêcheurs de l’archipel a permis de protéger cette population de marsouins tout en faisant de la pêche au hareng une activité plus écologique. Les scientifiques ont aussi pu en apprendre plus sur ces mammifères marins impressionnants. Des rapports si positifs entre pêcheurs et scientifiques sortent de l’ordinaire, non seulement au Canada, mais de par le monde. C’est là la clef du succès du programme.

Journal du Programme de libération du marsouin commun - 2002

Comment on libère les marsouins des bourdigues

porp in weirIl y a deux façons sûres de dégager les marsouins des bourdigues : i) en les amenant vers l’entrée de la trappe au moyen d’une seine ; ii) en les capturant avec une seine et en les soulevant doucement hors de l’eau. Le pêcheur peut opter pour une seine spéciale modifiée à partir d’un filet léger à grandes mailles, qui retient les marsouins mais laisse passer les harengs. De telles seines sont mises à la disposition des pêcheurs par le centre d’investigation. Le pêcheur peut aussi décider de dégager les marsouins en même temps qu’il récolte les harengs. Quoi qu’il en soit, il reçoit une compensation couvrant les frais supplémentaires en carburant et en main-d’œuvre qu’il encourt.

Des plongeurs aident au suivi des opérations de remise en liberté des marsouins, qu’ils finissent par attraper et amener à de petites embarcations où d’autres membres de l’équipe attendent afin de tirer les animaux de l’eau et ainsi les dégager des trappes. Une fois hors de l’eau, on tient les marsouins mouillés et au frais et on les surveille afin de détecter tout signe de stress. Les marsouins sont remis à l’eau libre dans les meilleurs délais.

Photo : © S. Taylor
releaseLes scientifiques du centre de recherche ont donc l’occasion de cueillir des données importantes sur les marsouins. Par exemple, ils déterminent le genre et mesurent la longueur de chaque animal. Ils peuvent aussi faire des prises de sang dans le cadre d’une étude à long terme sur la santé du troupeau. Dans la plupart des cas, une petite étiquette de couleur, portant un numéro unique, comme celles utilisées en élevage de moutons ou de porcs, est fixée à la nageoire dorsale du marsouin, ce qui permet de le reconnaître s’il est rencontré. Et, dans le cours d’une étude récente, des chercheurs ont affixé à la nageoire dorsale de plusieurs animaux, des étiquettes permettant de connaître leur localisation par satellite. Les chercheurs ont la possibilité de récupérer ces données, de suivre à distance les déplacements des marsouins marqués et ainsi acquérir une meilleure connaissance de leurs parcours et de l’exploitation qu’ils font de l’océan. Ces étiquettes ont une vie utile de six mois à un an. 

Qu’est-ce qu’une bourdigue ?

Au tout début, on attrapait les harengs près du rivage dans de vastes enceintes appelées bourdigues ou fascines. Au tournant du XXe siècle toutefois, le perfectionnement des moteurs rendit possible l’utilisation d’embarcations de construction métallique, qui permettaient la prise de bancs entiers de poissons en haute mer au moyen d’immenses seines coulissantes, lors d’opérations de grande ampleur. Dans la baie de Fundy, on a toujours recours à ces deux modes de pêche au hareng. Les vaisseaux et les seines ont certes fait l’objet de modernisations, mais les bourdigues ressemblent encore beaucoup à ce qu’elles étaient voilà 100 ans.

Les bourdigues sont des structures en forme de cœur, faites de poteaux et de filets maillants, qui ont pour effet de rassembler, diriger et enfin capturer les poissons au moment où ils longent le rivage. Les poissons rencontrent d’abord un filet installé perpendiculairement à la côte et qui les oriente vers l’entrée de la trappe où ils rencontrent un autre filet qu’ils n’hésitent pas à longer non plus. La bourdigue étant de forme courbe, les poissons se trouvent dirigés vers le fond de la trappe. À la fin, ils n’arrivent plus à s’échapper. Lorsque remplie de poissons, on ferme la bourdigue au moyen d’un autre filet qui demeure en place jusqu’au moment de la récolte des harengau moyen de seines.

Photo : © A. Dayer
Ashley Dayer photoLa récolte commence lorsque des pêcheurs déploient une seine coulissante à l’intérieur du périmètre de la trappe, lentement mais à un rythme constant, tout en s’assurant que les poissons demeurent au milieu. Quand les poissons sont encerclés, on referme le filet en en ramenant le fond et les extrémités, un peu comme si on tirait les cordons d’une bourse. C’est ce qu’on appelle boursage. Les harengs restent pris dans les mailles. On remonte alors doucement la seine, ce qui permet à l’eau de s’en écouler. À la fin, les poissons se trouvent concentrés à la surface. Un vaisseau spécial, appelé « pompe à harengs » entre alors en action : par un procédé faisant appel au vacuum il aspire les poissons dans un navire de transport, en vue de leur acheminement aux points de vente.

© Grand Manan Whale & Seabird Research Station Inc.
Le Centre de recherche sur la vie marine de Grand Manan
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Traductrice V. Violette et J.D. Bourque
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Revisez  le 1 juin, 2003
GMWSRS 24 Route 776, Grand Manan, NB, Canada E5G 1A1 info@gmwsrs.org